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The Deputy
de Rolf Hochhuth
- 1964 -
Brooks Atkinson Theater, New York
Rôle: Père Riccardo Fontana
Rolf Hochhuth est un auteur dramatique allemand, né en 1931. Sa première pièce très controversée, Der Stellvertreter (Le Vicaire) écrite en 1963, se situe en août 1942 pendant la Seconde Guerre mondiale et l'Holocauste. Ce drame est une référence directe au souverain pontife, le Vicaire du Christ selon la tradition catholique romaine.
 
Toute la pièce tente de répondre à la question de savoir si Pie XII a failli à sa mission. Et plus généralement, le Pape étant mort depuis cinq ans à cette date, si l'Église catholique s'est dérobée à sa mission universelle de charité. Sans ambiguité, l'auteur prône la thèse que Pie XII était au courant de l'extermination des Juifs par les Nazis. Il condamne son comportement hypocrite et son silence qui l'ont conduit à ne pas avoir alerté le monde, ni agit contre l'Holocauste. Finalement, Hochhuth dénonce l'attitude de l'Église toute entière.
 
Malgré sa longueur exceptionnelle (huit heures en cinq actes dans sa version intégrale) sa trop grande ambition et ses intentions parfois confuses, cette œuvre demeure une description dramatique très  impressionnante de l'époque Nazie. Elle peut être considérée comme le début d'une renaissance après-guerre du théâtre allemand.
La pièce fut montée la première fois à Berlin Ouest le 20 février 1963, dans une mise en scène d'Erwin Piscator, et dès l'origine, provoqua des controverses furieuses. Rolf Hochhuth fut interdit de toute production de sa pièce en Allemagne de l'Est jusqu'en 1966. Plus tard la pièce fit le tour du bloc de l'Est et s'exporta dans le monde entier.
 
Depuis elle a été produite dans plus de 80 villes à travers le monde. Sa première représentation à Londres, réalisée par Clifford Williams, portait le titre "The Representative" et eut lieu au Théâtre Aldwych en 1963 par la Royal Shakespeare Company.
 
L'œuvre de Rolf Hochhuth est adaptée par le poète Jerome Rothenberg pour la version condensée américaine. La pièce intitulée "The Deputy" s'ouvrit à New York dans une mise en scène de Shumlin Herman. Elle fut jouée pendant 316 représentations au Brooks Atkinson Theatre Brooks à Broadway, du 26 février au 28 Nov 1964.
 
Jeremy qui incarnait le Père Riccardo Fontana, quitta la distribution en mai 1964 pour retourner en Angleterre et David Carradine reprit son rôle. Herman Shumlin reçut en 1964, le Tony Award du "Meilleur Producteur (dramatique)" pour sa production de Broadway.
 
L'œuvre de Rolf Hochhuth a été traduite en français et publiée sous le titre "Le Vicaire" en 1963 avec un avant-propos d'Erwin Piscator. Elle fut également adaptée en livre par Jerome Rothenberg.  Au cinéma, le film "Amen" sorti en 2002 et réalisé par Constantin Costa-Gavras, est directement basé sur la pièce de théâtre.
Donnant lieu à des manifestations parfois violentes, une sécurité renforcée était nécessaire aux alentours du Brooks Atkinson Theatre à Broadway (voir Articles de presse ci-dessus). Le soir de la première représentation du 26 Février1964, protestants, juifs et catholiques laïques, ainsi qu'un groupe de néo-nazis, se mirent en faction devant le théâtre, scandant des slogans de protestation si fort qu'on les entendait à l'intérieur du théâtre.
(Voir ICI les articles de presse)
 
La police fut forcée d'interrompre la circulation autour du théâtre pendant vingt minutres avant le lever du rideau. Les acteurs devaient montrer des badges d'identification pour pouvoir passer les barricades de la police et entrer et le directeur du théâtre recommanda au public de ne pas sortir à l'extérieur pendant l'entracte. Heureusement, malgré la grande tension, aucune violence n'éclata.
 
En général les manifestants partaient avant la fin du spectacle, mais à titre de précaution par la suite, le théâtre était soigneusement fouillé tous les jours à la recherche d'éventuelles bombes. De même les acteurs par mesure de sécurité, ne venaient pas saluer le public à la fin comme de coutume.
Le Vicaire
The Deputy
Rolf Hochhuth
ARTICLES DE PRESSE
Le héros de la pièce est un jeune prêtre jésuite italien, le Père Riccardo Fontana (Jeremy Brett). Ce personnage imaginaire est librement inspiré de Bernhard Lichtenberg, un prêtre catholique à Berlin, mort en déportation, qui fut béatifié et nommé Juste pour avoir résisté au nazisme.
 
Dès son arrivée à Berlin, Riccardo venu de Rome, discute avec le nonce apostolique qui le familiarise avec les réalités berlinoises et lui demande quelles sont les intentions du pape. La paix avec Hitler ou la liberté de dénoncer résolument et sans ambages les crimes et le massacre des Juifs. À ce moment un Lieutenant SS fait irruption. Il fait un récit chiffré des "usines de la mort" et décrit le gazage des Juifs qu'il a vu à Belzec et Treblinka. Il demande au nonce de transmettre l'information au Vatican. Mais ce dernier refuse et répond à Gerstein que c'est à lui d'en parler à Hitler. Riccardo intervient pour dire que de telles informations sont déjà parvenues à Rome mais que personne ne pouvait y croire.  
 
Le jeune prêtre très troublé rentre à Rome, où son père aristocrate est un haut dignitaire laïc catholique des plus influents, ami du Cardinal et des proches conseillers du Pape. Au Vatican, le père Fontana parvient enfin à rencontrer Pie VI et l'exhorte à révéler au monde entier l'existence des massacres des Juifs perpétrés par Hitler pour les condamner ouvertement. Le Pape n'ignore rien de ses crimes, mais intransigeant, il rappelle au Père Fontana "qu'un diplomate doit agir avec discrétion".
 
Malgré ses supplications, Riccardo se sent incapable de convaincre le pape de rompre son silence. Révolté, désespéré, brûlant de foi et de dévouement, il décide de devenir un martyr. Il épingle délibérément l'étoile jaune sur sa soutane et rejoint les déportés en Allemagne, se condamnant à mourir dans les chambres à gaz d'Auschwitz. Alerté, Gerstein tente de sauver le jeune religieux, mais sans succès. Riccardo est exécuté et l'officier SS est incarcéré.
Le 30 Avril 1964, un article dans le Times de San Mateo (Californie) donnait cette description de la pièce et de la prestation poignante de Jeremy : "The Deputy" est une des plus grandes pièces morales que le 20ème siècle a produit... "The Deputy" est un cri contre l'indifférence qui existe en chacun de nous. Brillamment mise en scène, magnifiquement jouée, la pièce tient le public en haleine  pendant trois heures."
 
Howard Taubman du New York Times écrivit : "Maintenant que The Deputy, pièce qui a agité l'Europe entière l'année passée, est ici, le débat déjà commencé, va s'intensifier. Notre théâtre évoque rarement les questions morales d'une telle importance. Il s'agit d'une pièce sur le thème du choix. Chaque homme, pas moins que le Pape, doit faire des choix, et le non-choix est lui-même un acte de choix. "The Deputy" pose un problème universel de manière sensationnelle."
 
Un communiqué de l'Associated Press en Mai 1964, évoqua le tumulte de la pièce à propos de Jeremy : "Jeremy Brett tient le rôle principal dans le drame à succès "The Deputy" joué à Broadway. Il interprète un jeune prêtre catholique témoin de la barbarie nazie envers les Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale et qui entre en conflit frontal avec le Pape Pie XII à propos du silence du Vatican sur l’extermination de millions de gens. Mr Brett s'investit passionnément dans ce rôle."
 
"Brett, un jeune acteur britannique, réalise une performance déchirante dans le rôle du jeune jésuite... qui fait partie de la légation papale à Berlin au début des années 1940. Il apprend que le S.S. Lt. Kurt Gerstein (Thomas A. Carlin), qui a été affecté à Auchswitz, a fait appel au Pape pour qu'il intervienne, mais le nonce papal à Berlin est sans secours. Plus tard, il revient dans l'appartement de Gerstein et donne sa soutane et son passeport diplomatique à Jacobson, un juif qui avait trouvé refuge dans le logis. En contre-partie, il reçoit l'étoile jaune de David que tous les juifs doivent porter dans les pays occupés par les allemands. A partir de cet instant, Brett devient maitre de la pièce , mais pas de sa propre destinée. Grand, fragile, il rayonne dans ce rôle "ascétique".  La rencontre finale du Père Fontana avec le Pape, où il épingle l'étoile de David sur sa poitrine et rejoint les juifs italiens fuyant Rome, est électrique."
The Deputy a déclanché d'énormes contestations et causé de fortes émotions, suscitant à travers le monde entier, débats d'idées critiques et théologiques.  
 
Selon Eric Bentley dans son  "The Storm over The Deputy", la pièce a certainement provoqué "la plus grande tempête jamais soulevée par une pièce dans toute l'histoire du théâtre."
 
Avant même le début des répétitions, l'intrigue explosive créa des difficultés. Les sponsors retirèrent leur soutien et la production eut beaucoup de mal à trouver une salle qui accepterait la représentation.
 
Le directeur du spectacle, Herman Shumlin reconnut toutes ces tensions : "Je sais qu'il y aura une grande hostilité envers la pièce, mais je sais que nous faisons quelque chose d'important, valable et passionnant pour le théâtre." Il proposa également à tous les acteurs très troublés par la controverse et les hostilités entourant le spectacle, de les défaire de leur contrat. La distribution entière resta fidèle.
Incarner le Père Fontana se révéla une lourde épreuve pour Jeremy qui prenait son rôle très au sérieux et le vivait intensément. Il tenait le rôle central du drame avec un degré d’implication prodigieux. Ce rôle le marqua durablement. Il raconta au journaliste William Glover en 1964, qu'il était terrorisé à chaque représentation.
 
Jeremy était profondément perturbé par les atrocités décrites dans le drame, la description crue et le compte-rendu statistique des abominations nazies. Jeremy réalisa également que The Deputy était une œuvre nécessaire mais n'était pas le dernier mot sur le sujet. Herman Shumlin dit à l'époque que "Le Pape n'est qu'un symbole. Il personnifie le silence de tout le monde à cette période là." Jeremy prit conscience que " L’importance de la pièce est de constamment rappeler aux gens le pouvoir destructeur de la haine pour éviter que cela se reproduise."
 
Malheureusement, certaines personnes n'avaient pas compris le message et suscitèrent des controverses féroces dans le milieu religieux, en Amérique et en Europe. Jeremy fut l'objet de menaces et dut même affronter des dangers physiques sur sa personne.
 
Cependant, malgré la tension et la gravité de la pièce, il y eut des moments plus légers. Dans la scène d'ouverture, on apporte au Père Fontana un plateau de nourriture. Pendant les répétitions, Jeremy estimait que l'on devait voir le Père en train de manger. Mais, Herman Shumlin décida qu'il ne devait rien avaler de toute la scène. Pour faire appliquer sa décision, Shumlin colla des biscuits pour chien sur le plateau à la première. Mais, Jeremy les décolla simplement et les mangea ! Heureusement, il n'eut à souffrir d'aucun effet néfaste...
'The Fireside Companion to the Theatre' critiqua : "La mise en scène de Broadway en 1964 de "The Deputy" peut avoir découragé le public de lire l'œuvre, car la production, condamnée unanimement, était 'une mise en scène inadaptée d'un texte massacré, réduit à l'essentiel, lourd, et par endroits affreusement ennuyeux, comme l'a décrite Alfred Kazin 'une grande partie ressemble à un film anti-nazi de la période de John Garfield.' "
 
La revue New York Times du 27 Février 1964 fut èlogieuse à l'égard de Jeremy. "Jeremy Brett apporte enthousiasme et dévouement au rôle du Père Fontana." La revue notait plus loin que la version de The Deputy,  présentée à Broadway, avait été raccourcie par rapport aux cinq actes d'origine qui représentaient environ huit heures de spectacle. Cette version durait un peu plus de deux heures et demi, et "mettait en valeur la thèse des agitateurs."
Répétition et discussion de la pièce avec le producteur Herman Shumlin (derrière), Emlyn Williams (à gauche) qui joue le Pape Pie XII, et Jeremy Brett
Howard Taubman du New York Times déclara le lendemain de la première : "En tant que pièce de théâtre, The Deputy a ses défauts. En tant que polémique, elle est virulente et convaincante. Depuis qu'elle s'attaque à l'un des problèmes moraux les plus importants de notre temps, elle mérite d'être vue, débattue et prise à cœur. " "Un vicaire du Christ - qui voit ces choses et malgré tout se donne des raisons de sceller ses lèvres, qui perd même un jour à réfléchir, hésite ne serait-ce qu' une heure à élever sa voix angoissée en un anathème pour glacer le sang de chaque dernier homme sur Terre - ce Pape, est un criminel. " Pour finir Taubman nota : "Jeremy Brett apporte sa flamme et son dévouement au rôle du Père Fontana."
 
Quant à Richard P. Cooke, il déclara dans sa critique de la pièce du Wall Street Journal : "On ne pourrait guère accuser M. Hochhuth d'être anti-religieux, car l'auteur dépeint la plus haute forme de courage et de compassion chrétienne dans le rôle du le Père Fontana, admirablement tenu par Jeremy Brett. Il y a des scènes bouleversantes où le Père Fontana cherche en vain à faire changer d'avis le Pape et le Cardinal, et réussit à convaincre son père."
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