Tout cela remonte exactement à cette date de l'enterrement. Ils répondirent que c'était une idée plutôt surprenante, parce qu'il était considéré à l'époque comme un acteur idolâtré par les femmes, très beau, pas le genre d'homme que vous imagineriez être Sherlock Holmes. Plusieurs mois plus tard, j'ai tout à coup entendu par le téléphone arabe que ça serait Jeremy Brett, je fus donc très contente.
Plus tard, ce fut mon tour de prendre le relais en tant que productrice. J'ai fait le "Retour de Sherlock Holmes", 13 épisodes d'une heure, "Le Signe des Quatre", qui a été le premier film en 35 millimètres jamais réalisé par Granada. Je pense que c'est un film très réussi. Nous l'avons vu sur grand écran, et il fonctionne vraiment très bien. Puis, nous avons continué avec "Les Archives", mais dans l'intervalle, Michael Cox est revenu faire six films, et j'ai poursuivi avec plusieurs longs métrages de deux heures.
Certaines histoires étaient devenues très difficiles à adapter, elles ne comptaient qu'environ deux ou trois pages et il ne se passait pas grand chose. Nous devions étudier comment nous pourrions faire certaines choses. "Le Vampire" par exemple - c'était très court et nous avons réfléchi à la façon de l'arranger pour en faire un film, particulièrement à cause d'une forte pression médiatique pour réaliser quelque chose de ce genre. Je ne sais pas si vous savez que c'est Sherlock Holmes et Dracula qui attirent tous deux le plus d'audience dans le monde, c'était donc une très bonne idée de faire ce film. Nous avons trouvé une belle distribution, nous sommes partis tourner dans le plus merveilleux des villages, et je l'ai énormément apprécié - et les gens avaient peur en voyant le film.
HC: Avez-vous déjà lu des histoires de Conan Doyle et qu'en pensez-vous ?
JWD: Oui, bien sûr. Je les avais lues longtemps avant la série. Je pense qu'il est l'écrivain le plus merveilleux. J'aime aussi beaucoup la série réalisée par la BBC sur l'époque où il s'instruisait pour devenir médecin, et je pense qu'il serait très bien de la refaire à nouveau.
HC: Pourriez-vous nous dire un peu comment c'était de travailler avec Jeremy Brett sur la série ?
JWD: Eh bien à présent, un peu dites-vous ? Je pourrais parler pendant des heures et des heures de Jeremy Brett. Il était l'un des hommes les plus surprenants que vous ne pourriez jamais rencontré, car il avait deux faces. D'un côté, il était gentil, affectueux, démonstratif et on ne pouvait pas souhaiter la compagnie d'une meilleure personne. Lorsqu'il tombait en dépression, et il souffrait de la pire des formes, c'était un être totalement différent. Je n'ai jamais connu quelqu'un dont la personnalité puisse changer à un tel point. Il pouvait devenir agressif et ne pas vouloir continuer. J'ai eu tant de conversations avec Jeremy au sujet de son désir d'arrêter Sherlock Holmes. Il avait l'impression que Sherlock Holmes avait fait de lui un monstre. Jeremy Brett était déjà comme ça avant qu'il ne devienne Sherlock Holmes, mais ce n'était pas sa faute, et ce n'était certainement pas la faute de Sherlock Holmes.
HC: Avez-vous travaillé avec les deux acteurs qui ont joué le Dr Watson - David Burke et Edward Hardwicke ?
JWD: J'ai rencontré David Burke alors que j'allais faire le Retour, le premier épisode était "Le Manoir de l'Abbaye". Il venait juste de recevoir une merveilleuse proposition pour aller au Stratford Memorial Theatre et jouer avec sa femme. Il est venu me voir, et m'a dit : "C'est terrible. Vous allez prendre le relais quand je m'en vais, et cela fait si mauvais effet. Je suis vraiment désolé, mais je ne peux pas laisser passer cette occasion." Dans ma carrière, l'une des choses que j'ai faite, c'est que, si un acteur a la possibilité de développer sa carrière, je ne l'ai jamais arrêté et ne l'aurais jamais fait. J'ai choisi Edward Hardwicke pour être le Dr Watson, et je pense qu'effectivement il était meilleur.
HC: Edward Hardwicke était-il différent par le style et l'approche de la série par rapport à l'acteur précédent, David Burke?
JWD: Oui. David avait une approche plus "moderne" et une personnalité plus mordante. Edward est pour moi le Dr. Watson définitif. Il possède tout ce dont parle Conan Doyle. C'est l'acteur le plus charmant dans le travail et c'est un grand ami personnel.
HC: Quand vous avez commencé pour la première fois à produire la série; en gardant à l'esprit le grand nombre et la variété des adaptations précédentes de Sherlock Holmes, à la fois nationales et internationales, comment avez-vous envisagé la façon de faire votre propre série, et avez-vous découvert que l'une des précédentes adaptations avait influencé votre travail ?
JWD: Je vais vous dire très honnêtement que je ne voulais pas le faire. Je suis allée dire : "Écoutez. J'ai produit des détectives victoriens jusqu'à ce qu'ils me sortent par les yeux et je ne veux plus jamais en faire. J'adore Jeremy, mais je ne veux pas prendre en charge la totalité de ses problèmes, ses troubles, etc... " Parce qu'il devenait très malade à cette époque. De toute façon, j'étais convaincue que je devais le faire. J'ai décidé qu'il le fallait, de mon propre point de vue, puisqu'il y avait eu tellement de tentatives auparavant, le rendre le plus visuel possible. Je l'ai donc sorti de cette façon de faire que je considérais être un cadre théâtral, et l'ai rendu extrêmement visuel. J'ai trouvé les meilleurs réalisateurs que j'ai pu pour diriger, et Peter Hammond est l'un d'eux, à mon avis.
BM: L'une des choses qui nous surprend en France, c'est la beauté des paysages et des cottages. C'est vraiment typique de l'Angleterre, avec ce Je-ne-sais-quoi.
JWD: Eh bien, nous avons eu beaucoup de chance. L'une des pires choses est d'essayer de montrer Londres telle qu'elle était à l'époque victorienne, et Manchester ne peut pas être Londres. Manchester était le siège de nos studios d'enregistrement. Alors, nous devions nous rendre à Liverpool et dans ses environs pour pouvoir retrouver l'aspect de Londres. Le grand avantage c'était que tout autour de Manchester, dans le Cheshire et ses alentours, il existe quelques-uns des plus magnifiques châteaux que vous ne pourriez jamais imaginer, et quelques-uns des plus beaux paysages. Nous avions ces possibilités-là.
HC: Les Sherlock Holmes précédents ont tendance à avoir été interprétés de manière un peu guindée, une sorte d'aristocrate arrogant. Jeremy Brett a eu une approche totalement différente. Il a joué un Sherlock Holmes très explosif, enthousiaste, exubérant. Quelle était la part de lui-même, et la part de votre adaptation ?
JWD: Eh bien, il était totalement idiosyncrasique. Lorsqu'on lui a demandé s'il voulait jouer Sherlock Holmes, il a directement répondu, "Non !" Il ne voudrait certainement pas. L'ironie avec Jeremy Brett, c'est qu'il est issu d'une famille collet monté de la classe supérieure. Il a été éduqué à Eton et par la suite, à la grande horreur de son père, il est allé dans une école de théâtre. Son père était un ancien Général de Brigade de l'armée, qui avait été gazé pendant la guerre. Voilà de quelle famille il venait. C'était totalement l'aristocrate anglais. Vous pouvez l'entendre dans sa voix magnifique. Je vais vous raconter une chose, ce que Laurence Olivier lui a dit quand il a rejoint le National Theatre. Il a dit que, pour être acteur, vous avez besoin de deux choses. La voix d'un orchestre et le corps d'un athlète.
HC: Que pensait Jeremy Brett de la voix-off de Sherlock Holmes pour la commercialisation internationale de la série ?
JWD: Il a dit que les Français lui avaient donné une bonne voix, il l'aimait bien, mais il détestait la voix allemande. Il disait qu'elle était trop efféminée.
BM: La voix française était celle de Jacques Thébault. Il fut aussi la voix de Patrick McGoohan dans Danger Man et Le Prisonnier. Et également celle de Bill Cosby dans certaines de ses émissions ! Il a une belle voix grave.
HC: La plupart des Watson précédents étaient interprétés comme des idiots ou des bouffons dans le but de contraster très nettement avec l'intelligence de Sherlock Holmes. Les Watson dans cette série sont totalement différents. Ils sont joués comme des médecins sensibles et intelligents. Pouvez-vous nous dire comment cela s'est passé ?
JWD: Le fait est que si vous lisez Conan Doyle, il ne peut pas être un "patapouf", sinon pourquoi Sherlock Holmes l'aurait-t-il laissé continuer dans Le Chien des Baskerville. Sherlock est à peine présent dans Le Chien, il passe simplement dans le paysage. Juste pour évoquer Edward Hardwicke. Son père était Sir Cedric Hardwicke, un célèbre acteur anglais et la star de Hollywood. Petit garçon, toute la "Scène Anglaise" était là - C. Aubrey Smith, et Nigel Bruce, qu'il adorait. Edward a repris un peu de Nigel Bruce, et un peu de son père, mais c'est essentiellement lui-même qui en ressort.
HC: Le grand problème de Sherlock Holmes est sa consommation de drogues. Tout au long du Canon, il abuse de cocaïne et autres stimulants. Comment avez-vous abordé cette question, qui est si délicate dans le monde moderne.
JWD: La première série l'avait montré avec fidélité prenant la solution à sept pour cent. Mais à l'origine, nous sommes partis dans les Cornouailles pour tourner L'Aventure du Pied du Diable. Je m'étais sentie terriblement inquiète, car la police était venue nous voir pour solliciter notre aide concernant le problème de l'abus de drogue. Il y avait là le premier rôle en train de "se shooter". Je me suis approchée de Jeremy en évoquant ce sujet : "Je sais que tu veux coller le plus près possible à l'original, mais que ressentirais-tu si on le montrait abandonner cette pratique ?" Comme vous le savez, il commençait à être très malade dans L'Aventure du Pied du Diable. Il s'en alla réfléchir et revint en disant : "Tu as absolument raison. Je vais y renoncer." Nous avons alors mis au point la façon dont il enfouirait le matériel dans le sable, et nous ne l'avons plus jamais remontré. Il y a eu un moment plus tard dans la série lorsqu'Edward Hardwicke ouvre le tiroir pour voir si Holmes a pris la came, mais rien n'était déplacé, pour montrer qu'il n'y a pas touché.
HC: Lorsque la série a commencé, l'accent était mis davantage sur l'effort de se maintenir au plus près du Canon que possible, au point de voir des scènes tirées des dessins originaux de Sidney Paget dans le Strand Magazine. Plus tard beaucoup de films, par exemple Le Maître-chanteur d'Appledore et Le Vampire de Lamberley, se sont effectivement écartés loin du Canon. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
JWD: Nous sommes arrivés au point où véritablement nous n'avions plus matière pour produire une heure entière. Ainsi, nous prenions des extraits et des parties et les développions, comme Le Maître-chanteur d'Appledore. Charles-Augustus Milverton est l'un des personnages les plus merveilleux à mon avis, mais ce qu'il fait dans l'histoire constitue très peu à montrer. Nous avons eu recours à des scénaristes qui avaient adapté les histoires précédentes le plus fidèlement, et ils inventèrent alors certains passages. Par exemple dans Le Détective Agonisant, toute la simulation du Détective Agonisant était une invention qui faisait réellement fonctionner cette courte histoire. Nous avons essayé avec énormément de difficultés et les fluctuations de Jeremy. Parfois, il disait : "C'est le scénario le plus formidable que j'ai jamais fait", et puis, parfois, "Oh, mais vous vous êtes écartés de l'histoire originale." Et ensuite il s'adressait à moi : "C'était plutôt bien, non ?" Mais jamais à eux. Et diverses personnes écrivaient des choses différentes dans divers magazines. Je voulais presque abandonner. J'étais au bout du rouleau.
HC: Mme West, vous avez indiqué que vous teniez le rôle féminin principal dans Le Maître-chanteur d'Appledore, et combien vous avez pris plaisir à piétiner le visage de Charles-Auguste Milverton après avoir tiré sur lui. Vous avez également mentionné que vous aimiez incarner les méchantes. Ce rôle est quelque peu inhabituel, en ce sens qu'elle est une victime, mais en même temps une meurtrière. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
NW: Vous devez comprendre qu'elle a été entièrement et complètement forcée de le faire. Les vies de nombreuses personnes seront détruites s'il persiste à les menacer. Je pense que la chose la plus intéressante de l'épisode, c'est que Sherlock Holmes et le docteur Watson sont témoins de tout ça, sans rien faire. C'est extraordinaire, surtout quand Holmes ramasse sa boucle et supprime la preuve de la scène. C'était une femme très franche qui a commis une terrible erreur. Elle est tombée amoureuse, et a fait la pire chose en l'écrivant sur le papier. Nous devons tous nous rappeler de ne pas faire ça ! Et alors les circonstances ont pris le dessus et on a travaillé à partir de ce biais-là. C'est une lente accumulation d'émotions. Qu'est-ce que je vais faire ? Comment vais-je faire pour trouver une solution ? Cela va détruire la vie d'autres personnes, cela ne peut pas se produire. C'est une progression lente, comme une montée de marches.