REBECCA :  TROISIÈME ÉPISODE
LA JEUNE FEMME : Mrs Danvers, vous allez devoir faire preuve de patience envers moi. Ce genre de vie est totalement nouveau pour moi, et je voudrais tellement que ce soit une réussite...
 
LA JEUNE FEMME : Maxim, qu'y a-t-il ?
 
MAXIM : Quoi, "qu'y a-t-il" ?
 
LA JEUNE FEMME : Pourquoi te comportes-tu comme ça ?
 
MAXIM : Comme quoi ?
 
LA JEUNE FEMME : Tu ne m'as pas adressé la parole pendant ces dix dernières minutes, et quand je t'ai demandé de me montrer l'aile ouest, tu as failli me gifler !
 
MAXIM : Écoute ! Il y a certaines choses que je ne souhaite pas voir, il y a certaines choses que je ne souhaite pas faire ! Fais ce qu'il te plaît ! Mais n'attends pas de moi que je ravive des souvenirs qui ne peuvent que nous détruire, tous les deux !
 
LA JEUNE FEMME : Que s'est-il passé, Frank ? Que s'est-il passait quand elle s'est noyée ?
 
FRANK : Le bateau s'est perdu au large et a coulé.
 
LA JEUNE FILLE : Rebecca était-elle très belle ?
 
FRANK : Je dirais que c'est la plus belle créature que j'aie jamais vue de ma vie.
 
MRS DANVERS : Pensez-vous que les morts reviennent, et regardent les vivants ? Parfois, je me demande si elle revient à Manderley, et vous voit ensemble, Mr De Winter et vous...
 

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MAXIM : À chaque fois que je me réjouis de pouvoir passer un dimanche tranquille, à paresser dans le jardin, nous sommes envahis par une foule d’intrus !
 
LA JEUNE FILLE : Peut-être, mais ce n’est pas de ma faute !
 
MAXIM : Cet horrible Crowan et son détestable fils… et elle !
 
LA JEUNE FILLE : Ce ne sont pas mes amis !
 
MAXIM : Ce ne sont certainement pas non plus les miens ! De quoi lui as-tu parlé ?
 
LA JEUNE FILLE : Quoi ?
 
MAXIM : De quoi lui as-tu parlé ?
 
LA JEUNE FILLE : Oh, pas grand-chose, de ci, de ça… tu sais bien… Elle m’a demandé, pour le bal.
 
MAXIM : Quel bal ?
 
LA JEUNE FILLE : Eh bien, le bal de Manderley. Elle a demandé si nous allions reprendre la tradition du bal costumé de Manderley… Alors ?
 
MAXIM : Oh… Lady Crowan est une vraie plaie, elle ne se rend pas compte du travail que ça demande.
 
LA JEUNE FILLE : Lady Crowan n’est pas la seule, Mrs Tarker m’a aussi demandé ce qu’il en serait, et la femme de l’évêque…
 
MAXIM : Vraiment ?
 
LA JEUNE FILLE : Oui, elles m’ont dit que c’était vraiment merveilleux, combien les gens l’appréciait… Et puis, Frank Crawley a dit que c’était l’un des événements majeurs de l’année !
 
MAXIM : Je ne savais pas que tu raffolais de ce genre de choses.
 
LA JEUNE FILLE : On dirait bien que les gens s’y attendent, Maxim.
 
MAXIM : À quoi ?
 
LA JEUNE FILLE : Eh bien, à une sorte de fête, à une sorte de…
 
MAXIM : À une sorte de fête en l’honneur de la mariée ?
 
LA JEUNE FILLE : Eh bien, oui, je suppose… Ça m’embarrasse tellement, tu vois… mais quand les gens me posent la question, je ne sais pas quoi leur dire…
 
MAXIM : En quoi te déguiseras-tu ? Alice au pays des merveilles ? Tu lui ressembles, tout de suite, avec ton doigt dans la bouche…
 
LA JEUNE FILLE : Oh, Maxim, ne sois pas si malpoli !
 
MAXIM : Qu’est-ce que ça avait de malpoli ?
 
LA JEUNE FILLE : Et j’aimerais vraiment que tu arrêtes de me traiter comme une petite sotte !
 
MAXIM : Comment veux-tu que je te traite ?
 
LA JEUNE FILLE : Mais, comme tous les hommes traitent leurs épouses !
 
MAXIM : Que je te batte, tu veux dire ?
 
LA JEUNE FILLE : Oh, ne sois pas ridicule, pourquoi faut-il que tu te moques toujours de ce que je dis ?
 
MAXIM : Je ne plaisante pas. Je suis très sérieux. Eh bien, soit ! Si tu veux une fête, tu l’auras, j’en parlerai à Frank Crawley.
 
LA JEUNE FILLE : Je peux participer aux préparations, j’aimerais bien !
 
MAXIM : Il n’y a pas grand-chose à faire. La vieille liste des invités est dans le bureau… oh, tu pourrais lécher les timbres !
 
LA JEUNE FILLE : Que porteras-tu ?
 
MAXIM : Je ne me déguise jamais ; c’est la tradition, le maître de maison ne porte jamais de costume.
 
LA JEUNE FILLE : Oh, ce n’est pas juste !
 
MAXIM : Ah ! La tradition !
 
LA JEUNE FILLE : Eh bien, puisque c’est comme ça, je garderai mon déguisement secret. Je ne te dirai rien du tout ! Et si tu cherches tout seul, ce sera de la triche !
 

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BEATRICE : Tout le monde bout vraiment d’impatience, à propos du bal ! L’idée venait de vous, ou de Maxim ?
 
LA JEUNE FILLE : De nous deux, vraiment, je crois…
 
BEATRICE : Je pense que c’est merveilleux, c’est exactement ce dont nous avions besoin, une chose à attendre avec impatience. Giles va se déguiser en Cheik arabe ! Mais il ne faut le répéter à personne, c’est sensé être une surprise ! Giles est tellement excité, il adore se déguiser ! Nous jouons toujours aux charades à Noël ! Il ne faut pas avoir peur de Mamie, elle est presque aveugle, la pauvre chérie, et elle est sourde… et elle n’est pas très vive non plus, ces temps-ci… Enfin, à son âge, ça n’a rien de très surprenant.
 
LA JEUNE FILLE : Quel âge a-t-elle ?
 
BEATRICE : Quatre vingt-six  ans, je crois… oui, c’est cela, elle aura quatre vingt-sept ans en octobre.
 
LA JEUNE FILLE : Je me souviens que Maxim m’avait parlé d’elle, lors de notre première rencontre.
 
BEATRICE : De Mamie ?
 
LA JEUNE FILLE : De vous deux, en fait. Nous étions assis à l’hôtel, à Monte Carlo ; il a commencé à parler de sa famille. « Je suis seul au monde », m’a-t-il dit, « sans compter ma sœur et une vielle grand-mère.
 
BEATRICE : Ils se ressemblent, c’est assez amusant, Maxim et Mamie… Si vous arrivez à vous imaginer Maxim vieux et sourd, et gâteux ! Poussez-vous de là, imbécile ! J’ai téléphoné l’infirmière pour l’avertir de notre visite, alors espérons que tout va bien. C’est bien dommage que Maxim n’ait pas pu venir… enfin, tant pis ! Bonjour, Mildred !
 
L’ INFIRMIERE : Bonjour, Madame. Bonjour, Madame.
 

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BEATRICE : Nous voilà, Mamie ! Nous sommes bien arrivées !
 
LA GRAND-MERE : Ma chère Bea ! Comme c’est gentil de ta part d’être venue me voir ! On s’ennuie tant, ici… Jamais rien de neuf à faire…
 
BEATRICE : J’ai emmené la femme de Maxim avec moi. Elle aurait voulu venir avant, mais Maxim et elle ont été très occupés. Embrassez-la ! Comment s’est-elle trouvée, ces derniers temps ?
 
L’ INFIRMIERE : Cela dépend, Madame. Elle a un bon jour, et le lendemain, c’est l’inverse… vous savez ce que c’est…
 
LA GRAND-MERE : Que vous êtes jolie… C’est très gentil à vous d’être venue. Vous auriez dû emmener Maxim avec vous.
 
LA JEUNE FILLE : Je crains qu’il n’ait été occupé, aujourd’hui.
 
LA GRAND-MERE : Il vous faudra l’emmener… la prochaine fois. Asseyez-vous, ma chère… ici, près de moi. Pour que je puisse vous voir. Bea… viens ici, toi aussi.L’INFIRMIERE : Vous plaisez-vous à Manderley, Mrs De Winter ?
 
LA JEUNE FILLE : Oui, beaucoup, merci.
 
L’INFIRMIERE : C’est un endroit magnifique, n’est-ce pas ?
 
BEATRICE : Mrs De Winter est une passionnée d’art ! Je lui ai dit qu’il y avait des tas d’endroits à Manderley qui feraient de sacrés beaux dessins.
 
L’INFIRMIERE : Oh, certainement ! Quel merveilleux hobby. J’avais une amie qui faisait des merveilles avec son crayon. Nous sommes allées ensemble en Provence, pendant des vacances de Pâques, et elle a fait de très jolies esquisses.
 
LA JEUNE FILLE : Comme c’est charmant !
 
BEATRICE : Nous parlons esquisses, Mamie ! Tu ne savais pas que nous avions une artiste dans la famille, n’est-ce pas ?
 
LA GRAND-MERE : Quel artiste ? Je n’en connais aucun.
 
BEATRICE : Demande à ta nouvelle petite-fille !
 
LA GRAND-MERE : Que veut dire Bea ? Je ne savais pas que vous étiez une artiste. Nous n’avons jamais eu d’artiste dans la famille.
 
LA JEUNE FILLE : Oh, Beatrice plaisantait !
 
BEATRICE : Elle dit que je plaisantais !
 
LA JEUNE FILLE : Je ne suis pas une vraie artiste. J’aime le dessin en tant que hobby.
 
LA GRAND-MERE : Ah… un hobby… Oui, je vois.
 
L’INFIRMIERE : Vous avez passé votre lune de miel en Italie, n’est-ce pas ? La carte postale que Mr De Winter a envoyée nous a fait si plaisir !
 
LA JEUNE FILLE : Oh, il en avait envoyé une ? Je ne m’en souviens pas.
 
L’INFIRMIERE : Oui, ça a provoqué toute une effervescence ! Nous apprécions beaucoup ce genre de choses.
 
LA GRAND-MERE : Quelle heure est-il, Bea ?
 
BEATRICE : Presque quatre heures et demie.
 
LA GRAND-MERE : Quatre heures et demie ! Mon dieu, mon dieu… Pourquoi Nora n’apporte-t-elle pas le thé ?
 
L’INFIRMIERE : Quoi ? Vous avez encore faim après le déjeuner que nous avons fait !... Nous tenons un album, vous savez, et nous y mettons tout ce qui a à voir avec la famille. C’est-à-dire, tout ce qui est agréable, comme votre carte postale.
 
LA JEUNE FILLE : Quelle bonne idée.
 
LA GRAND-MERE : Pourquoi Nora n’apporte-t-elle pas le thé ?
 
L’INFIRMIERE : Il est seulement quatre heures et demie !
 
BEATRICE : Je ne ferais pas votre métier pour tout l’or du monde !
 
L’INFIRMIERE : Oh, j’ai l’habitude, Mrs Lacy. Nous avons une petite gâterie aujourd’hui, vous rappelez-vous ? Des sandwiches au cresson !
 
LA GRAND-MERE : C’est le jour du cresson ?
 
L’INFIRMIERE : Eh oui, aujourd’hui, cresson ! Elle raffole du cresson, vous savez.
 
LA GRAND-MERE : Pourquoi Nora n’apporte-t-elle pas le thé ?
 
BEATRICE : Elle va l’apporter dans une minute, Mamie.
 
L’INFIRMIERE : Avez-vous eu beau temps en Italie ?
 
LA JEUNE FILLE : Oh, oui, il a fait très chaud.
 
BEATRICE : Elle dit qu’ils ont eu très beau temps en Italie, pour leur lune de miel. Maxim était bronzé comme tout !
 
LA GRAND-MERE : Pourquoi Maxime n’est-t-il pas là aujourd’hui ? Est-il encore en Italie ?
 
BEATRICE : Nous te l’avons dit, ma chérie, il est très occupé. Il est à la maison.
 
LA GRAND-MERE : Quand est-il allé en Italie ?
 
BEATRICE : Pour sa lune de miel, Mamie, en Avril, nous t’avons tout raconté dans une lettre ; maintenant, il est à la maison, à Manderley.
 
LA GRAND-MERE : Habitez-vous aussi à Manderley ?
 
BEATRICE : Oh, Mamie, ma chérie, tu sais très bien qu’elle vit là-bas, maintenant, Maxim et elle sont mariés !
 
LA GRAND-MERE : Je ne comprends pas !
 
(L’INFIRMIERE : Je crois que vous feriez mieux de partir, à présent.)
 
LA GRAND-MERE : Qui êtes-vous, ma chère ? Je ne vous avais jamais vue. Je ne connais pas votre visage. Bea, qui est cette enfant ? Pourquoi Maxim n’a-t-il pas emmené Rebecca ?
 
(BEATRICE : Venez…)
 
LA GRAND-MERE : J’aime tant Rebecca ! Où est-elle ? Je veux la voir ! Qu’ avez-vous fait d’elle ? Où est-elle, où est-elle ?
 

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LA JEUNE FILLE : En… entrez !
 
MRS DANVERS : J’espère que je ne vous dérange pas, Madame.
 
LA JEUNE FILLE : Qu’y a-t-il, Mrs Danvers ?
 
MRS DANVERS : Robert a trouvé ces esquisses par terre, dans la bibliothèque… Je me suis demandé si vous aviez l’intention de les jeter…
 
LA JEUNE FILLE : Oui, c’était bien mon intention. Ce ne sont… que des gribouillis, je n’en veux pas.
 
MRS DANVERS : Très bien, Madame. Puis-je me permettre de ?... S’agissait-il d’ébauches de costumes, pour le bal ?
 
LA JEUNE FILLE : Oui, c’est cela.
 
MRS DANVERS : Vous n’avez donc pas encore choisi ce que vous porterez.
 
LA JEUNE FILLE : Non, Mrs Danvers, pas encore.
 
MRS DANVERS : Mr De Winter vous a pas conseillé un costume ?
 
LA JEUNE FILLE : Non, je veux lui faire la surprise…
 
MRS DANVERS : Pourquoi ne copieriez-vous pas l’un des portraits de la galerie ?
 
LA JEUNE FILLE : Oui, je pourrais y songer…
 
MRS DANVERS : Tous les portraits de la galerie feraient de beaux costumes… Surtout celui de Miss Caroline De Winter. La jeune fille en blanc. Je me demande pourquoi Mr De Winter ne donne pas un bal d’époque où tout le monde s’habillerait à peu près pareil, pour faire un ensemble. J’ai toujours pensé qu’il n’était pas convenable de voir un clown danser avec une dame portant mouches et perruque…
 
LA JEUNE FILLE : Eh bien, il y a des gens qui aiment la variété ! Ils pensent que c’est plus amusant.
 
MRS DANVERS : Eh bien, ce n’est pas mon avis. Avez-vous pensé à choisir un couturier, pour la robe ?
 
LA JEUNE FILLE : Non. En connaîtriez-vous un ?
 
MRS DANVERS : Personne ne peut exécuter correctement ce genre de travail, dans les environs. Mais… Voce, de Bond Street a une bonne réputation.
 
LA JEUNE FILLE : Je vous remercie, Mrs Danvers. Je m’en souviendrai.
 
MRS DANVERS : Merci, Madame.
 

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MAXIM : Pauvre vieille Beatrice ! Elle n’a jamais de chance, à ce genre d’occasions. La dernière fois, elle est venue en Madame de Pompadour.
 
Bonsoir, Frith.
 
FRITH : Bonsoir, Monsieur. Madame.
 
LA JEUNE FILLE : Bonsoir.
 
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LA JEUNE FILLE : Mrs De Winter à l’appareil. Je voulais m’assurer que vous aviez bien compris toutes mes instructions, pour la robe. C’est bien clair ? Tant mieux. Et la perruque ? Bien. Merci beaucoup. Et rappelez-vous bien qu’il me la faut pour le mercredi 12, sans faute.
 

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ROBERT : Mr Crawley, Madame.
 
LA JEUNE FILLE : Ah, oui, qu’il entre !
 
FRANK : Oh, j’espère que je ne suis pas trop en avance !
 
LA JEUNE FILLE : Non, je viens de finir de noter toutes les adresses, et j’ai encore vérifié la liste des invités.
 
FRANK : Vous êtes très efficace ! Merci. Je les posterai ce soir.
 
LA JEUNE FILLE : Pensez-vous qu’ils accepteront tous ?
 
FRANK : Bien sûr que oui ! Personne ne veut rater le bal de Manderley.
 
LA JEUNE FILLE : Mon dieu, tous ces gens, c’est très intimidant…
 
FRANK : Vous vous amuserez bien, j’en suis sûr ! Vous n’aurez rien à faire. Rien de terrifiant. Recevoir les invités, simplement, ce n’est pas si difficile !
 
LA JEUNE FILLE : À vous entendre, c’est un jeu d’enfant !
 
FRANK : Ça l’est !
 
LA JEUNE FILLE : Mais tous ces étrangers, qu’est-ce que je vais bien pouvoir leur dire ?
 
FRANK : Il n’y aura pas que des étrangers, Mrs De Winter. Vous m’accorderez peut-être une danse.
 
LA JEUNE FILLE : Je vous accorderai autant de danses qu’il vous plaira. Je ne danserai qu’avec vous, et Maxim.
 
FRANK : Oh, mais ça ferait très mauvaise impression ! Les gens seraient très offensés. Vous devez danser avec tous ceux qui vous le demandent.
 
LA JEUNE FILLE : Cher Frank ! Vous êtes si gentil. J’espère… j’espère vraiment que ce sera un succès.
 
FRANK : Je suis sûr que ce sera un grand succès. Vous n’avez aucune raison de vous faire du souci.
 
LA JEUNE FILLE : Oh, mais si ! J’ai tant de promesses à tenir !
 
FRANK : Que voulez-vous dire ?
 
LA JEUNE FILLE : Eh bien, tout le monde me raconte que Rebecca organisait merveilleusement ces fêtes, que c’était des succès éclatants, qu’elles étaient absolument parfaites !
 
FRANK : Oui, oui, mais c’est du passé maintenant !
 
LA JEUNE FILLE : Vraiment ?
 
FRANK : Oui, bien sûr.
 
LA JEUNE FILLE : Mais Maxim y pensera forcément, il comparera forcément les choses telles qu’elles étaient autrefois, et telles qu’elles sont à présent.
 
FRANK : Personne ici ne souhaite faire ramener le passé à la surface, Mrs De Winter. Et certainement pas Maxim. Et tout dépend de vous, vous savez, c’est à vous de nous le faire oublier… pas de nous y replonger.
 
LA JEUNE FILLE : Oui. Oui, vous avez tout à fait raison. Je fais tout simplement preuve d’égoïsme.
 
FRANK : D’égoïsme ?
 
LA JEUNE FILLE : Je ne peux pas me détacher de mon propre complexe d’infériorité !
 
FRANK : Ce n’est pas de l’égoïsme ; c’est de la sottise !
 
LA JEUNE FILLE : Je vous remercie.
 
FRANK : Pourquoi ?
 
LA JEUNE FILLE : Je me sens bien plus heureuse grâce à vous. Et je peux compter sur votre amitié quoi qu’il arrive, n’est-ce pas, Frank ?
 
FRANK : Tout à fait.
 
LA JEUNE FILLE : Resterez-vous pour le thé ?
 
FRANK : Non, merci, je ferais mieux d’aller poster tout ça. Au revoir !
 
LA JEUNE FILLE : Au revoir.
 

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LE GARÇON : Pardon, M’dame.
 
LA JEUNE FILLE : Oh, excusez-moi ! Pourquoi ne pas mettre ces chaises dans la bibliothèque ? Il y en a beaucoup.
 
LE GARÇON : Mais… Mrs Danvers a dit de les mettre dans la pièce du fond, de l’autre côté !
 
LA JEUNE FILLE : Ah, oui, bien sûr, suis-je bête ! Oh, pardon !
 

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GILES : N’oubliez pas les boîtes, Robert… les costumes !
 
ROBERT : Oui, Monsieur.
 
BEATRICE : C’est magnifique ! Magnifique ! Ah, c’est comme au bon vieux temps ! Ces décorations, ma chère, elles sont d’un goût exquis ! C’est vous qui les avez arrangées ?
 
LA JEUNE FILLE : Non, c’est Mrs Danvers…
 
BEATRICE : Elles sont parfaites !
 
GILES : Je vois que vous avez embauché Mitchells pour arranger tout ça !
 
MAXIM : Comme d’habitude.
 
GILES : Une sacrée réussite la dernière fois… un bal de première classe !
 
BEATRICE : Combien de personnes coucheront ici ?
 
LA JEUNE FILLE : Vous serez les seuls.
 
BEATRICE : Oh, Dieu soit loué ! Tu te rappelles, l’avant-dernière fois, nous étions tous serrés comme des sardines, c’était terrible ! Certaines personnes ont dormi dans la salle de bain…
 
LA JEUNE FILLE : Voulez-vous prendre le thé ?
 
GILES : Vous me connaissez, moi, je ne dis jamais non.BEATRICE : Oh, il y aura plein de choses à manger plus tard, viens, il est temps d’aller se préparer.
 
GILES : Balivernes, Bea ! Il est seulement cinq heures !
 
BEATRICE : Mais il te faudra au moins deux heures pour te peinturlurer !
 
MAXIM : Vous peinturlurer ! Giles, en quoi allez-vous vous déguiser ?GILES : Ne me posez pas de questions ! Secret défense !
 
BEATRICE : Ça va être très amusant ! Oh, je suis si contente que tu aies décidé de redonner un bal !
 
MAXIM : C’est à elle que tu le dois.
 
LA JEUNE FILLE : Oh, ce n’est pas vrai ! Tout le monde n’arrêtait pas de me demander ce qu’il en serait.
 
BEATRICE : Ne prétendez pas le contraire, nous pouvons tous voir que vous êtes sur les charbons ardents !
 
LA JEUNE FILLE : C’est vrai.
 
GILES : Bien sûr que c’est vrai ; moi aussi je suis très impatient, tout comme Beatrice, et Maxim aussi – même s’il ne l’avouera jamais ! Nous brûlons tous d’impatience, et c’est bien légitime !
 

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L’HOMME : C’est bon, allume-les !
 

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CLARICE : C’est si joli, Madame, si joli !
 
LA JEUNE FILLE : Et sur l’épaule gauche, est-ce que ce ruban dépasse ?
 
CLARICE : Non, Madame, rien ne dépasse.
 
LA JEUNE FILLE : Oh, Clarice ! Que va dire Monsieur !… Qu’est-ce que c’est ? On n’entre pas !
 
BEATRICE : Ce n’est que moi, ma chère, n’ayez pas peur ! Où en êtes-vous ? Je voulais vous admirer.
 
LA JEUNE FILLE : Oh, je vous en prie, Beatrice, n’entrez pas, rejoignez-les en bas, je descendrai quand je serai prête.
 
BEATRICE : Ne nous faites pas trop attendre ! Nous sommes si intrigués !
 
LA JEUNE FILLE : Oh, Clarice ! Ouvrez la porte, je descends. Courez devant, voir s’ils sont tous là !
 


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FRANK : Ohé !
 
MAXIM : Vous êtes parfait !
 
FRANK : C’est le même que l’an dernier…
 
GILES : Tadam !
 
MAXIM : Oh, mon cher…
 
FRANK : C’est très bien trouvé !
 
MAXIM : Mais qui est cette belle étrangère ?...
 
CLARICE : Ils sont tous en bas, le major et Mrs Lacy. Mr Crawley vient d’arriver. Ils sont tous dans le hall.
 
MAXIM : Je me demande ce qu’elle peut bien fabriquer, cela fait deux heures qu’elle est enfermée dans sa chambre. Quelle heure est-il, Frank ?
 
FRANK : Presque la demie.
 
LA JEUNE FILLE : Dites au percussionniste de m’annoncer. Qu’il tambourine comme on fait, vous savez, et qu’il annonce bien haut : Miss Caroline De Winter. Je veux les surprendre, en bas.
 
LE MUSICIEN : Très bien.
 
LE PERCUSSIONNISTE : Miss Caroline De Winter !
 
LA JEUNE FILLE : Bonsoir, Mr De Winter.
 
FRANK : Non, ne…
 
MAXIM : Qu’est ce que tu fiches ?
 
LA JEUNE FILLE : C’est le tableau, Maxim… J’ai copié le tableau… Qu’y a-t-il ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
 
MAXIM : Va te changer. Mets n’importe quoi. Vite, avant que personne ne te voie. Dépêche-toi ! Tu n’as pas entendu ce que je t’ai dit ? Va te changer !
 
BEATRICE : Dis que la robe était ratée. Dis que le magasin a envoyé la mauvaise robe. Oh, dis ce que tu veux !
 

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CLARICE : Oh, Madame, votre belle robe ! Votre belle robe blanche !
 
LA JEUNE FILLE : Ce n’est pas grave, Clarice, ce n’est pas votre faute.
 
CLARICE : Qu’est-ce que vous allez mettre, maintenant, Madame ?
 
LA JEUNE FILLE : Je ne sais pas.
 
CLARICE : Elle était si belle ! Exactement comme le tableau !
 
LA JEUNE FILLE : Ce n’est pas la peine de pleurer. S’il vous plaît, laissez-moi seule, maintenant, ça ira.
 
CLARICE : Oh, Madame…
 
LA JEUNE FILLE : S’il vous plaît, laissez-moi, je préfèrerais être seule. Qui est-ce ?
 
BEATRICE : Oh, ma chère… Vous vous sentez bien ? Vous êtes très pâle. Je vais vous chercher un verre d’eau. Voilà. Buvez ceci. J’ai tout de suite compris que ce n’était qu’une effroyable erreur ; vous ne pouviez évidemment pas vous douter…
 
LA JEUNE FILLE : Me douter de quoi ?
 
BEATRICE : Eh bien, que la robe… le portrait que vous avez copié… Rebecca a porté le même costume au dernier bal. Identique. La même robe, le même tableau. Vous étiez là, en haut de l’escalier, et l’espace d’un épouvantable instant, j’ai pensé que…
 
LA JEUNE FILLE : J’aurais dû le savoir, j’aurais dû m’en douter…
 
BEATRICE : Vous douter de quoi ? Comment auriez-vous pu le deviner ? Ce n’est pas votre faute, ma chère, seulement ça a été un tel choc, et Maxim, vous comprenez…
 
LA JEUNE FILLE : Que… Maxim, qu’a-t-il… ?
 
BEATRICE : Eh bien, il croit que vous l’avez fait exprès.
 
LA JEUNE FILLE : Mon Dieu !
 
BEATRICE : Non, ne vous inquiétez pas, ne vous tourmentez pas, il comprendra quand il se sera calmé. Les premiers invités sont arrivés, ils prennent l’apéritif. Nous devons vous trouver quelque chose à mettre. Voyons voir. Ah, cette robe bleue ! Elle est charmante. Mettez ça. Personne ne fera attention. Vite, je vais vous aider.
 
LA JEUNE FILLE : Je ne descendrai pas.
 
BEATRICE : Mais il le faut.
 
LA JEUNE FILLE : Je ne peux pas. Je ne peux pas les affronter.
 
BEATRICE : Mais personne n’en saura rien, cela n’a pas d’importance. Nous… nous dirons que le magasin a envoyé la mauvaise robe.
 
LA JEUNE FILLE : Il ne s’agit pas de la robe. C’est ce que j’ai fait, ce qui s’est passé…
 
BEATRICE : Je vais prendre Maxim à part un moment, et je lui expliquerai tout.
 
LA JEUNE FILLE : Non, non ! Ne faites pas cela !
 
BEATRICE : Je ne peux pas vous y obliger, mais je vous en conjure ! Je ne peux pas simplement prétendre que vous avez la migraine.
 
LA JEUNE FILLE : Pourquoi pas, qu’est-ce que ça peut faire ? Ce ne sont pas mes amis, ils ne me connaissent même pas.
 
BEATRICE : Mais pensez à Maxim ! Vous devez descendre pour lui !
 
LA JEUNE FILLE : Je ne peux pas, je ne peux pas.
 
BEATRICE : Qui est-ce ?
 
GILES : C’est moi.
 
BEATRICE : Que veux-tu ?
 
GILES : Maxim m’a envoyé voir ce qui se passe.
 
BEATRICE : Elle dit qu’elle ne descendra pas. Oh, qu’est-ce qu’on va bien pouvoir dire ?
 
GILES : Quelle terrible histoire !
 
BEATRICE : Tu devrais lui dire qu’elle ne se sent pas très bien, mais qu’elle essaiera de descendre plus tard. Qu’on se mette à table.
 
GILES : Tu as raison. Je ne peux vraiment rien faire d’autre ?
 
BEATRICE : Non. J’arrive dans une minute, Giles. Si vous preniez un peu de cognac ? C’est puiser le courage dans l’alcool, certes, mais cela fait parfois un bien fou.
 
LA JEUNE FILLE : Non, merci, je n’ai envie de rien.
 
BEATRICE : Il va falloir que je descende, malheureusement, vous êtes sûre que je peux vous laisser seule ?
 
LA JEUNE FILLE : Oui, merci.
 
BEATRICE : Oh, ne me remerciez pas ! Si seulement je pouvais réellement être utile !
 
LA JEUNE FILLE : Je vous en prie, ne me méprisez pas.
 
BEATRICE : Vous mépriser ? Quelle drôle d’idée !
 
LA JEUNE FILLE : Vous, vous ne baisseriez pas les bras comme ça, n’est-ce pas ? Vous ne vous cacheriez pas du monde. Si seulement je vous ressemblais davantage, Beatrice !
 
BEATRICE : J’avais un cousin qui avait reçu toutes sortes de médailles pendant la Grande Guerre. Et quand quelqu’un chantait ses louanges, en le félicitant pour son courage, il disait : « Oh, je ne suis pas courageux, j’aime me battre. Les types qui sont morts de peur, ce sont eux les vrais braves. » Oh, mon Dieu ! Quelle allure j’ai ! Ce sacré voile va tout de travers. Tant pis ! On n’y peut rien.
 

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LE PREMIER HOMME : Il en manque une ici, Bill. L’AUTRE : Prends-en une de rechange.
 
LE PREMIER HOMME : Voilà ! Allons voir la terrasse.
 

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FRANK : Vous prendrez bien un peu de champagne ?
 
LA JEUNE FILLE : Non, merci, Frank, vraiment, je n’ai vraiment pas soif.
 
FRANK : J’aimerais que vous l’acceptiez. Je pense que vous en avez besoin.
 
GILES : La robe que vous portez est très jolie. Nous nous sommes conduits comme de sacrés imbéciles.
 
L’INVITE : Il paraît que le costume de votre femme n’a pas été livré à temps. Bon sang, quelle honte ! Vous devriez poursuivre le couturier en dommages et intérêts. La même chose est arrivée à ma sœur, une fois.
 
MAXIM : Oui, c’est très regrettable.
 
L’INVITE : Écoutez-moi, vous n’aurez qu’à dire que vous êtes en myosotis ! De jolis petites fleurs, les myosotis, hein ? Robe bleue, fleurs bleues. Bonne idée ! Un myosotis !
 

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BEATRICE : Oh, ma chère ! Vous devriez vous asseoir, vous êtes blanche comme un linge !
 
LA JEUNE FILLE : Je vais très bien.
 
BEATRICE : Alors, venez voir le feu d’artifice.♬ Ce n’est qu’un au revoir... ♬
 

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LE CLOWN : N’oubliez pas que vous dînez chez nous le 14 !
 
LA JEUNE FILLE : C’est vrai ?
 
LE CLOWN : Oui, huit heures et demie, en smoking ; nous serons ravis de vous recevoir.LA JEUNE FILLE : Oh, comme ce sera agréable ! Merci.
 
LE CLOWN : Bonsoir !
 
LA JEUNE FILLE : Bonsoir. Bonsoir, merci beaucoup…
 

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BEATRICE : Ouf ! Seigneur, je suis exténuée ! Mais quel succès éclatant !
 
LA JEUNE FILLE : Vraiment ?
 
BEATRICE : Oh, une superbe réussite. Ma chère, vous semblez éreintée, ne devriez-vous pas aller vous coucher ? Où sont les hommes ?
 
LA JEUNE FILLE : Dehors, dans l’allée.
 
BEATRICE : Je vais prendre du café, je crois, ainsi que des œufs et du bacon. Et vous ?
 
LA JEUNE FILLE : Non… non, Beatrice, je crois que je n’en ai pas très envie, merci.
 
BEATRICE : Vous étiez ravissante dans votre robe bleue, tout le monde l’a dit. Et personne ne s’est douté du… reste. Vous ne devez donc pas vous inquiéter.
 
LA JEUNE FILLE : Non.
 
BEATRICE : Si j’étais vous, je ferais la grasse matinée demain. Faites-vous servir le petit-déjeuner au lit, n’essayez pas de vous lever.
 
LA JEUNE FILLE : Oui, vous avez peut-être raison.
 
BEATRICE : Je dirai à Maxim que vous êtes montée, voulez-vous ?
 
LA JEUNE FILLE : Oh oui, Beatrice, je vous en prie.
 
BEATRICE : C’est entendu, dormez bien.
 
LA JEUNE FILLE : Bonne nuit.
 
LA JEUNE FILLE : Maxim !
 
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LA JEUNE FILLE : Vous avez obtenu ce que vous vouliez, n’est-ce pas ? Vous êtes satisfaite ? Vous êtes contente ?
 
MRS DANVERS : Pourquoi êtes-vous venue ici ? Personne n’avait besoin de vous à Manderley.
 
LA JEUNE FILLE : Vous paraissez oublier que j’aime Mr De Winter.
 
MRS DANVERS : Si vous l’aimiez, vous ne l’auriez jamais épousé. J’ai d’abord cru que je vous détestais, mais c’est fini. Tous les sentiments que j’ai pu éprouver se sont dissipés.
 
LA JEUNE FILLE : Pourquoi me détesteriez-vous ? Qu’ai-je fait ?
 
MRS DANVERS : Vous essayez de prendre la place de Mrs De Winter.
 
LA JEUNE FILLE : Ce n’est pas vrai ! Je n’ai pas donné d’ordre, je n’ai rien changé, je vous ai tout laissé faire. Ce n’était tout de même pas un crime que de nous marier, est-ce que nous n’avons pas le droit d’être aussi heureux que n’importe qui ?
 
MRS DANVERS : Mr De Winter n’est pas heureux, le premier imbécile venu s’en apercevrait. Il n’y a qu’à voir ses yeux. Il vit un enfer depuis qu’elle est morte.
 
LA JEUNE FILLE : Nous étions heureux quand nous étions en France tous les deux.
 
MRS DANVERS : Un voyage de noces, c’est toujours bon à prendre pour un homme.
 
LA JEUNE FILLE : Comment osez-vous me parler ainsi ? Comment osez-vous ? C’est vous qui m’avez fait porter cette robe, hier soir, n’est-ce pas ? Je n’y aurais jamais pensé sans vous ! Vous avez agit ainsi parce que vous vouliez faire du mal à Mr De Winter. Est-ce qu’il n’a pas déjà assez souffert ?
 
MRS DANVERS : Que m’importent sa souffrance ? Il ne s’est jamais soucié de la mienne. Croyez-vous que c’est une vie pour moi, de vous voir assise à sa place, toucher ses affaires ? Et d’entendre Frith, Robert et les autres vous appeler Mrs De Winter ? Mrs De Winter est morte ! Ma maîtresse est morte ! Mais il sait qu’elle l’observe. Il sait qu’elle revient la nuit, et qu’elle l’observe. Et elle ne vient pas avec gentillesse, pas elle, pas ma maîtresse ! Elle n’était pas femme à avaler les offenses en silence ! C’est moi qui l’ai élevée quand elle était petite, le saviez-vous ?
 
LA JEUNE FILLE : Mrs Danvers, je ne veux pas en entendre davantage.
 
MRS DANVERS : Personne n’avait le dernier mot avec elle, jamais. Pas même quand elle était enfant. Elle faisait ce qui lui plaisait ; elle vivait à sa guise. Oh, elle avait du courage, aussi, tout le courage et le cran d’un garçon. Je me souviens d’elle à seize ans, montant un cheval de son père, une grand brute que le palefrenier disait trop chaud pour elle. Elle l’a maté proprement.
 
Je la revois, cheveux au vent, cravachant la bête jusqu’au sang, lui enfonçant ses éperons dans les flancs. Et quand elle est descendue, il tremblait de ses quatre membres, couvert d’écume et de sang. « Ça lui apprendra, n’est-ce pas, Danny ? » m’a-t-elle dit ; et elle est allée se laver les mains, tranquille comme Baptiste. Et c’est comme ça qu’elle est allée dans la vie, en grandissant. J’étais avec elle, je la voyais.
Elle ne se souciait de rien ni de personne. Et quand elle a été battue, pour finir, ce ne fut pas par un homme ou par une femme. Seule la mer a été plus forte que ma maîtresse ! Seule la mer l’a eue…
 
LA JEUNE FILLE : Mrs Danvers… Mrs Danvers, vous n’êtes pas bien. Vous devriez aller vous coucher. Pourquoi n’allez-vous pas vous reposer dans votre chamb…
 
MRS DANVERS : Vous ne me laisserez donc jamais tranquille ? Qu’est-ce que ça peut vous faire, que je montre mon chagrin ? Je n’en ai pas honte. Vous parlez de le rendre heureux. Vous vous croyez capable de la remplacer. Vous ! Vous, prendre la place de ma maîtresse ! Quoi ! Même les domestiques riaient de vous, quand vous êtes arrivée à Manderley ; même les bonnes de l’arrière-cuisine !
 
Je me demande ce qui est passé par la tête de Mr De Winter lorsqu’il vous a ramenée ici, après cette merveilleuse lune de miel. Je me demande ce qu’il a pensé quand il vous a vue assise dans la salle à manger, pour la première fois, assise à sa place !
 
LA JEUNE FILLE : Assez, Mrs Danvers ! Vous feriez mieux d’aller dans votre chambre.
 
MRS DANVERS : Aller dans ma chambre ? Aller dans ma chambre ? La maîtresse de maison pense que je ferai mieux d’aller dans ma chambre ! Vous ne pouvez pas donner d’ordres dans cette maison. Vous n’aurez jamais le dernier mot avec elle. C’est encore elle, la maîtresse de ces lieux, même si elle est morte ; c’est elle, la vraie Mrs De Winter. Pas vous. C’est vous, l’ombre, le fantôme ; vous qui êtes oubliée, et indésirable, et rejetée ; pourquoi ne lui laissez-vous pas Manderley ? Pourquoi ne partez-vous pas ? Pourquoi ne partez-vous pas ?
 
Personne n’a besoin de vous, ici. Lui non n’a pas besoin de vous ; il n’a jamais voulu de vous. Il ne peut pas l’oublier. Il veut être seul à nouveau dans la maison, seul avec elle. C’est vous qui devriez être morte. Pas Mrs De Winter. Pourquoi ne sautez-vous pas ? C’est une façon rapide et douce, pas comme se noyer. Pourquoi ne sautez-vous pas ? N’ayez pas peur. Je ne vous pousserai pas. Sautez de vous-même. Vous n’êtes pas heureuse. Mr De Winter ne vous aime pas. Sautez, maintenant, et finissez-en. C’est une façon rapide et douce. N’ayez pas peur. N’ayez pas peur. N’ayez pas peur.
 
MAXIM : N’aie pas peur. Saute !
 
LA JEUNE FILLE : Qu’est-ce que c’est ? Que se passe-t-il ?
 
MRS DANVERS : Ce sont des signaux. Il doit y avoir un bateau échoué dans la baie. Vous devriez descendre. Faites attention à vos doigts en fermant la fenêtre. Heureusement que la mer n’est pas agitée. Les marins auraient eu beaucoup moins de chance. Mais un jour comme celui-ci, il n’y a pas de danger. Quand vous verrez Mr De Winter, Madame, vous pourrez lui dire que je ne vois aucun inconvénient à ce qu’il ramène les marins ici. Un repas chaud les y attendra.
 
LA JEUNE FILLE : Bien, Mrs Danvers.
 

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ROBERT : Puis-je disposer du plateau, Madame ?
 
LA JEUNE FILLE : Oh, oui ; merci, Robert.
 
ROBERT : Vous n’avez rien mangé de la journée, Madame. Y aurait-il quelque chose qui vous fasse envie ?
 
LA JEUNE FILLE : Non, merci. Oh, auriez-vous vu Mr De Winter ?
 
ROBERT : Seulement très brièvement, Madame. Il est revenu pour prendre des cigarettes, et puis il est retourné directement à la plage. Le Capitaine Searle est là, il l’attend.
 
LA JEUNE FILLE : Le Capitaine Searle ?
 
ROBERT : Le commandant du port de Kerrith.
 
LA JEUNE FILLE : Oh… introduisez-le, peut-être que je peux me rendre utile.
 
ROBERT : Très bien, Madame. Le Capitaine Searle, Madame.
 
LE CAPITAINE : Mrs De Winter ? Enchanté.
 
LA JEUNE FILLE : Enchantée. Quelle terrible affaire…
 
LE CAPITAINE : Ça aurait pu être bien pire. Les marins sont tous sauvés, dieu soit loué, et il n’y a pas de blessés graves.
 
LA JEUNE FILLE : Et qu’en est-il du bateau ?
 
LE CAPITAINE : La quille est en très mauvais état. Il ne reverra jamais Hambourg.
 
LA JEUNE FILLE : Asseyez-vous, je vous en prie.
 
LE CAPITAINE : Je vous remercie. Bonjour, les chiens !
 
LA JEUNE FILLE : Je suis vraiment désolée, mon mari n’est pas encore rentré. À dire vrai, je ne sais pas où il est, il a fait des allers et retours toute la journée.
 
LE CAPITAINE : C’est ce que Mr Crawley m’a dit.
 
LA JEUNE FILLE : Puis-je vous être d’une quelconque utilité ?
 
LE CAPITAINE : Eh bien… je n’en suis pas certain… je ne veux pas vous faire de chagrin, Mrs De Winter. Certainement pas.
 
LA JEUNE FILLE : Du chagrin ? Que voulez-vous dire ? Que s’est-il passé ?
 
LE CAPITAINE : Je pense qu’il vaudrait mieux que j’attende le retour de votre mari.
 
LA JEUNE FILLE : Non ! Dites-moi ce qui s’est passé, je vous en prie.
 
LE CAPITAINE : Je suppose que je devrais. Nous avons envoyé un scaphandrier pour mesurer l’étendue des dégâts. Et une fois descendu, il a repéré un autre petit bateau, échoué au fond de l’eau, intact, et pas du tout brisé. C’est un homme du pays, évidemment, et il a immédiatement reconnu le bateau. C’était le voilier de feu Mrs De Winter.
 
LA JEUNE FILLE : Je vois… je vois. Capitaine Searle, est-il bien nécessaire d’en aviser mon mari ? Ne pourrait-on pas laisser le bateau où il est ? Il ne fait de mal à personne, n’est-ce pas ?
 
LE CAPITAINE : J’ai bien peur que ce ne soit pas tout. Mon bonhomme a jeté un coup d’œil à travers l’un des hublots. Il a eu la peur de sa vie, Mrs De Winter. Un corps gisait sur le sol de la cabine.
 
LA JEUNE FILLE : Oh, mon Dieu !
 
LE CAPITAINE : Il était complètement dissous, bien sûr, il n’y avait plus de chaire. Mais c’était tout de même clairement un corps. Il distinguait la tête, et les membres. Il est remonté et m’a immédiatement fait son rapport. Vous voyez bien, Mrs De Winter, que je n’ai pas le choix. Il faut que j’en parle à votre mari.
 
LA JEUNE FILLE : Mais je croyais… on m’avait dit qu’elle naviguait seule…
 
LE CAPITAINE : C’est vrai.
 
LA JEUNE FILLE : Il devait donc y avoir quelqu’un avec elle, alors que personne ne le savait ?
 
LE CAPITAINE : On le dirait bien, oui.
 
LA JEUNE FILLE : Mais qui est-ce que ça pouvait bien être ?
 
LE CAPITAINE : Je n’en ai pas la moindre idée.
 
LA JEUNE FILLE : Si quelqu’un avait disparu, cela se serait su, n’est-ce pas ? Un parent… quelqu’un.
 
LE CAPITAINE : Certainement. Tout cela est très étrange.
 
LA JEUNE FILLE : Que va-t-il se passer, à présent ?
 
LE CAPITAINE : Je crains bien qu’il ne me faille rendre compte… Les journalistes vont s’emparer de l’affaire, bien sûr, mais je ne vois pas comment nous pourrions l’empêcher. Je suis vraiment navré.
 
LA JEUNE FILLE : Si seulement nous pouvions ne pas parler de tout ça à Maxim !... Si seulement nous pouvions lui cacher tout cela !...
 
LE CAPITAINE : Vous savez que si c’était en mon pouvoir, Mrs De Winter… Mais c’est tout à fait impossible, je n’y puis rien.
 
MAXIM : Capitaine Searle, on m’a dit que vous étiez ici.
 
LE CAPITAINE : Mr De Winter ! J’ai bien peur d’…
 
MAXIM : Auriez-vous l’amabilité de patienter dans mon bureau ? J’aimerais dire deux mots à ma femme ; je suis au courant de ce qui est arrivé, Frank Crawley me l’a dit.
 
LE CAPITAINE : Oui, bien sûr. Mrs De Winter.
 
LA JEUNE FILLE : Je suis navrée… je suis vraiment, affreusement navrée… Je t’en prie, dis-moi que tu m’as pardonné.MAXIM : Pardonné ? Que veux-tu que je te pardonne ?
 
LA JEUNE FILLE : Hier soir, la robe, tu as cru que je l’avais fait exprès.
 
MAXIM : Ah ! Cela… J’avais oublié. Ce n’était pas de ta faute. Oh, ma chérie, si seulement tout cela n’était jamais arrivé…
 
LA JEUNE FILLE :  Peu importe ce qui est arrivé. Nous sommes ensemble, c’est tout ce qui compte. Oh, Maxim, je t’aime tant !MAXIM : Non, tu te trompes. Ça a beaucoup d’importance. Tu ne comprends pas. Nous ne sommes pas faits pour être heureux, toi et moi.
 
LA JEUNE FILLE :  Comment peux-tu dire une chose pareille ?
 
MAXIM : C’est la vérité. Rebecca a gagné.
 
LA JEUNE FILLE :  Non ! Non, je t’en prie !MAXIM : Son ombre nous sépare toujours. Elle savait qu’elle finirait par gagner.
 
LA JEUNE FILLE :  Non, Maxim, je t’en prie, ne dis pas des choses pareilles !
 
MAXIM : Searle t’a raconté ce qui s’est passé, pour le voilier ?
 
LA JEUNE FILLE :  Oui.
 
MAXIM : Et il t’a dit ce qu’ils ont trouvé dans la cabine ?
 
MAXIM : Non. Rebecca était seule.
 
LA JEUNE FILLE :  Mais c’est impossible ! Le Capitaine Searle a dit…
 
MAXIM : C’est le corps de Rebecca qui est étendu dans la cabine.
 
LA JEUNE FILLE :  Non, Maxim, non…
 
MAXIM : La femme qu’ils ont enterrée n’était pas Rebecca. C’est le corps d’une autre femme, une inconnue que personne n’a réclamée… Il n’y a jamais eu d’accident. Rebecca ne s’est pas noyée. Je l’ai tuée...
 
Peux-tu encore me regarder dans les yeux et me dire que tu m’aimes ?  
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