En dépit de ses efforts pour rester fidèle à Conan Doyle, Jeremy reconnut avoir "fait des erreurs terribles". "C'était un contre-emploi. Je suis un acteur du genre héros romantique. Alors, j'étais tout à fait conscient que je devais cacher terriblement de moi même, et ce faisant, je pense que j'apparais très souvent brusque et peut-être parfois même un peu brutal. En fait Dame Jean Conan Doyle, la fille de Doyle, qui est une de mes grandes amies personnelles, m'avait dit une fois : " Je ne pense pas que mon père voulait que You-Know-Who soit si brutal" et j'ai répondu : "Je suis terriblement désolé, Dame Jean, j'essayais seulement de me cacher".
L' acteur reste bien sûr le Holmes classique brillant logicien, mais il renouvèle l'image du détective précurseur de la police scientifique moderne. Bien plus que le génie intellectuel impénétrable, il propose un Sherlock Holmes humain, analytique, presque philosophique. Son don pour l'observation s'applique à la nature humaine. Il étudie avec dureté ou bienveillance l'âme des criminels, voyous des bas-fonds, notables corrompus, anciens soldats spoliés; il analyse les sentiments qui les poussent au crime, amour, cupidité, jalousie, vengeance...
Sous le masque désabusé et derrière les volutes de fumée, on découvre un homme tourmenté, faillible, parfois souffrant. Il offre toute la complexité du caractère, fait d'obscurité, d'humour, d’ennui permanent et de dépendance à la stimulation - des enquêtes ou des injections de cocaïne et morphine. Oscillant entre excitation et lymphatisme, génie et folie, il réussit à créer un personnage au grand pouvoir de fascination. Ses gestes larges et stylés correspondent à la personnalité théâtrale de Holmes qui aime surprendre. Il est en représentation permanente.
Le style de jeu si personnel de l'acteur sert magnifiquement son interprétation. Cependant, Jeremy portait le sombre secret de la maniaco dépression. Ses excentricités, sa voix emphatique, ses brusques volte-face, ses regards fulgurants en étaient en partie la conséquence. Le trouble bipolaire peut, tantôt déclencher une grande excitation et une totale euphorie, tantôt engendrer une sombre mélancolie et une profonde tristesse. Mais il était capable en tant qu'acteur – et un acteur flamboyant - de canaliser cette affliction quand il jouait Holmes et d'en tirer le meilleur.
Jeremy avoua un jour à David Stuart Davies que s'il avait "été un banquier ou un épicier", il n'aurait pas pu faire face, alors qu'il "était facile de camoufler le démon quand on doit déclamer et délirer sur scène chaque soir…". Toutefois cet équilibre précaire fut ébranlé à partir de 1985. Les années sombres commençaient.